Des armoiries et des livres

Les manuscrits de Pierre Lorfèvre

Histoire d'une collection

Les armoiries des Lorfèvre

Paris, Bibl. Sainte-Geneviève,
ms. 329, f. 2

D’or à l’écusson de sable en abîme, à la cotice de gueules brochant sur le tout. La description commence par le fond de l'écu (or), on indique ensuite le meuble et sa position (écusson de sable en abîme), puis l’élément qui vient se superposer aux autres (cotice de gueules brochant sur le tout).

L’héraldique est en mesure d’apporter des précisions importantes pour la datation et l’identification des personnages. Ainsi ces armes sont attestées dès 1381 pour la famille Lorfèvre pour Pierre, le bibliophile dont on examine ici la bibliothèque, et pour Jean, son cousin (tableau généalogique des Lorfèvre de Senlis).

La collection de Pierre Lorfèvre

Les armes des Lorfèvre, fil conducteur de notre parcours, se retrouvent aujourd’hui sur dix-neuf manuscrits.

Paris, Bibl. Sainte-Geneviève,
ms. 392, f. 48v°-49
Paris, BnF, lat., ms. 10400, f. 35

On peut y ajouter deux autres manuscrits qui ne portent pas d’armes mais ont aussi certainement appartenu à la famille : Paris, Bibl. Sainte-Geneviève, ms. 392 et Paris, BnF, lat., ms. 10400. Le premier a appartenu à son oncle et le deuxième contient une lettre adressée à Pierre Lorfèvre. Hormis ce dernier, recueil de fragments (documents et lettres) d’origines diverses, ces manuscrits contiennent exclusivement des textes religieux (bible et commentaires bibliques, œuvres des Pères de l’Eglise) et juridiques.

Parmi ces derniers, on note la présence du corpus de droit civil de l’empereur Justinien (Paris, Bibl. Sainte-Geneviève, ms. 391 et 392) et des œuvres de droit canonique. Sans doute fondamentales pour la formation et la culture du chancelier, ces œuvres n’ont pas constitué ses seules lectures. Les dix-neuf manuscrits conservés ne sont, à l’évidence, qu’une partie seulement de la bibliothèque de Pierre Lorfèvre.

Sélectionnez une image pour avoir une vue plus précise sur celle-ci :

Paris, Bibl. Mazarine,
ms. 318, f. 1v°
Paris, Bibl. Sainte-Geneviève,
ms. 15, f. 1
Paris, Bibl. Sainte-Geneviève,
ms. 34, f. 1
Paris, Bibl. Sainte-Geneviève,
ms. 36, f. 1
Paris, Bibl. Sainte-Geneviève,
ms. 49, f. 1v°-2
Paris, Bibl. Sainte-Geneviève,
ms. 50, f. 1v°-2
Paris, Bibl. Sainte-Geneviève,
ms. 51, f. 1v°-2
Paris, Bibl. Sainte-Geneviève,
ms. 52, f. 1v°-2
Paris, Bibl. Sainte-Geneviève,
ms. 53, f. 1
Paris, Bibl. Sainte-Geneviève,
ms. 168, f. 2v°-3
Paris, Bibl. Sainte-Geneviève,
ms. 220, f. 3v°-4
Paris, Bibl. Sainte-Geneviève,
ms. 221, f. 161v°-162
Paris, Bibl. Sainte-Geneviève,
ms. 329, f. 1v°-2
Paris, Bibl. Sainte-Geneviève,
ms. 329, f. 2
Paris, Bibl. Sainte-Geneviève,
ms. 330, f. 3v°-4
Paris, Bibl. Sainte-Geneviève,
ms. 392, f. 127v°-128
Paris, Bibl. Sainte-Geneviève,
ms. 393, f. 4
Paris, Bibl. Sainte-Geneviève,
ms. 394, f. 3v°-4
Paris, Bibl. Sainte-Geneviève,
ms. 395, f. 4

Les lectures de Pierre Lorfèvre : enjeux et destinée d'une bibliothèque

La composition de la bibliothèque de Pierre Lorfèvre est liée à ses deux milieux d’élection. Après avoir hérité des manuscrits de son oncle, le chanoine de Senlis (sont conservés : Paris, Bibl. Sainte-Geneviève, ms. 391, 392, 393, 394 et 395) Pierre a acquis les livres nécessaires à ses études juridiques et à son activité professionnelle.

Paris, Bibl. Sainte-Geneviève,
ms. 391, f. 2
Paris, Bibl. Sainte-Geneviève,
ms. 393, f. 154v°-155
Paris, Bibl. Sainte-Geneviève,
ms. 394, f. 63v°-64
Paris, Bibl. Sainte-Geneviève,
ms. 395, f. 215v°-216
Paris, Bibl. Sainte-Geneviève,
ms. 395, f. 215v°-216

A défaut d’en avoir conservé un inventaire, on peut examiner les manuscrits subsistants. Les textes témoignent de sa formation et de ses lectures. Les notes des possesseurs autres que lui aident à comprendre dans quelles conditions et à partir de quelles sources s’est formée sa collection. On peut aussi entrevoir la destinée des manuscrits. Tous ces éléments renvoient aux milieux parisiens des gens de robe, notaires et fonctionnaires royaux.
Comme toutes les collections de cette époque, la bibliothèque de Lorfèvre, composée de livres de grand prix, a certainement représenté une partie considérable de son patrimoine.

Le prix du livre médiéval

Livre modeste
Laon, Bibl. mun.,
ms. 270 bis
Manuscrit juridique
Amiens, Bibl. mun.,
ms. 355, f. 95

Les livres ont une très grande valeur au Moyen Age ; ils ont souvent servi d’échange pour des transactions importantes. Au côté de la production de livres de grand prix, des livres modestes ont aussi été réalisés : on ne saurait considérer de la même façon un chef d’œuvre enluminé et le recueil de notes d’un étudiant !

Aux XIIIe et XIVe siècles, en Italie, les manuscrits juridiques, renfermant des œuvres de grande ampleur qui s’étendaient sur plusieurs volumes, valaient davantage que les livres de médecine.

Missel
Avignon, Bibl. mun.,
ms. 136, f. 12v°
Livre d'heures
Lyon, Bibl. mun.,
ms. 515, f. 11

Deux exemples pour avoir une idée de la place des livres dans les patrimoines privés : en 1394, la fortune du chanoine Fortet, fondateur du collège parisien qui porte son nom, était évaluée à 316 livres pour les biens meubles et à 430 livres pour les manuscrits. L’ensemble des biens meubles de Nicolas de Baye, mobilier et livres compris, est estimé à 850 livres tournois, somme dont le prix de sa bibliothèque, fixé à 430 livres tournois, constituait donc la moitié.

Manuscrit de médecine
Montpellier, Bibl. Interuniv. Médecine,
H 089, f. 7v°

L'histoire des manuscrits de Pierre Lorfèvre

La majorité des manuscrits conservés date des XIIIe et XIVe siècles. Le ms. BnF latin 10400 contient, aux f. 30-34v°, la lettre de demande en mariage de sa fille Catherine, adressée à Pierre Lorfèvre en 1395 par Jean Lebègue. La lettre, pleine de références à la culture classique, illustre le niveau de formation des chanceliers de l’époque et leur goût pour la rhétorique.

Paris, Bibl. Mazarine,
ms. 318, f. 1v°
Paris, Bibl. Sainte-Geneviève,
ms. 15, f. 1

Tous les manuscrits de Lorfèvre sont d’origine française, à l’exception de l’exemplaire du Codex de Justinien, qui, d’après l’écriture et la décoration, provient d’Italie (ms. Paris, Bibl. Sainte-Geneviève 391). Parmi les manuscrits d’origine française, quatre (Paris, Bibl. Mazarine, ms. 318 et Bibl. Sainte-Geneviève, ms. 34, 35 et 36), contenant des commentaires scripturaires, sont l’œuvre d’un copiste de la seconde moitié du XIVe siècle d’origine bretonne, Henri Bossec, probablement actif à Paris.

Le manuscrit Paris, Bibl. Sainte-Geneviève 392 est un exemplaire du XIIIe siècle des Novelles de Justinien. Au XIVe siècle, le manuscrit appartenait à un notaire, Geoffroy Foulques. Pierre Lorfèvre, le doyen de Senlis (tableau généalogique) a ensuite acquis le manuscrit.

Sept manuscrits de Lorfèvre, tous de la seconde moitié du XIIe siècle, sont originaires de l’abbaye cistercienne de Haute-Fontaine : les Morales sur le livre de Job en cinq volumes (ms. Paris, Bibl. Sainte-Geneviève 49, 50, 51, 52, 53) et les Lettres de saint Augustin en deux volumes (Paris, Bibl. Sainte-Geneviève, ms. 220 et 221). Les circonstances de leur acquisition au cours du XIVe siècle ne sont pas connues : il se peut que Lorfèvre ait profité d’un intermédiaire.

La bibliothèque de l'abbaye de Haute-Fontaine

Fondée en 1136, l’abbaye cistercienne de Haute-Fontaine (Marne) a disposé très tôt d’une bibliothèque importante dont subsistent quelques manuscrits et deux catalogues anciens, datant de la seconde moitié du XIIe siècle (l’un d’entre eux, le plus complet, est transmis dans le manuscrit Paris, Bibl. Sainte-Geneviève, ms. 53, f. 159v°-160).

Paris, Bibl. Sainte-Geneviève,
ms. 53, f. 159v°-160
Début de la liste des manuscrits
Détail du fol. 159v°, colonne 2
Détail du fol. 160, colonne 1
Détail du fol. 160, colonne 2

Après la période médiévale, la collection a continué à se développer, grâce à l’œuvre de l’abbé janséniste Guillaume Le Roi (mort en 1684). D’après une note d’Auguste Molinier, c’est probablement par lui que quelques manuscrits originaires de l’abbaye et passés ensuite à Pierre Lorfèvre sont parvenus à la Bibliothèque Sainte-Geneviève (Paris, Bibl. Sainte-Geneviève, ms. 49, 50, 51, 52, 53 et 220 et 221).

Les bibliothèques des gens de robe

François Pétrarque, 1303-1374
Charles V
Tours, Bibl. mun., ms. 1039

Tant par son histoire que par sa composition, la bibliothèque de Pierre Lorfèvre est représentative de la culture humaniste à Paris. Si l’humanisme est, en Italie, le résultat d’une lente maturation qui voit son point culminant en l’œuvre de François Pétrarque (mort en 1370), sa diffusion à Paris est liée à une initiative du roi Charles V : la réforme de l’enseignement des humanités, mise en œuvre au collège de Navarre.

Le noyau de base des bibliothèques des humanistes français, qui sont souvent très importantes, est formé des mêmes catégories que l’on retrouve dans les bibliothèques traditionnelles des ecclésiastiques : d’une part les livres religieux (manuscrits liturgiques, commentaires bibliques, œuvres théologiques, recueils de sermons), d’autre part les textes juridiques, droit canonique en tête mais aussi droit civil.

Pour ce dernier domaine, le texte de référence est le Corpus de Justinien. Cet empereur romain, mort en 565, a constitué un recueil complet de lois. Cette collection, retrouvée au XIe siècle par les juristes d’Italie du Nord, sera étudié et commenté au cours du Moyen Age. Le corpus de Justinien comporte cinq parties, qui ont pu circuler et être commentées séparément :
- I-III : Pandectes (composées de Digeste vieux, Infortiat, Digeste nouveau).
- IV : Code (en neuf livres).
- V : Institutions, Authentique (ou Novelles), Code.

Alexandre le Grand
Paris, Bibl. Sainte-Geneviève,
ms. 246, f. 48v°
Saint Louis s'embarquant pour la croisade (XVe siècle, Louvres)

L’histoire, autre catégorie prisée par les ecclésiastiques, est également présente dans les bibliothèques des gens de robe, mais avec une orientation nettement laïque : fleurissent les chroniques de France et de Bretagne, les histoires des croisades, les recueils de prophéties, les histoires romaines, la geste d’Alexandre et l’épopée troyenne.

L’esprit laïc se manifeste également par l’ouverture à la littérature, tout particulièrement en français ou en italien, ainsi qu’aux traductions et surtout aux classiques latins.

Pour citer cette page : « Histoire d'une collection », dans Des armoiries et des livres. Les manuscrits de Pierre Lorfèvre, D. Nebbiai, H. Loyau , P. Barasc, C. Gadrat, eds, Paris-Orléans, IRHT, 2010 (Ædilis, Publications pédagogiques, 7). [En ligne] http://lorfevre.irht.cnrs.fr/histoire_dune_collection.html