Des armoiries et des livres

Les manuscrits de Pierre Lorfèvre

Manuscrits et marques d'appartenance

Dans cette partie nous allons présenter les armoiries « en situation », à la fois comme partie du décor et comme marques d’appartenance. Associées ou non à d’autres mentions, elles permettent de remonter aux anciens possesseurs. Complétant l’exemple de Lorfèvre, trois cas de figure vont illustrer l’apport indispensable des armoiries pour la datation des manuscrits et l’identification des provenances.

Manuscrits peints aux armes

Les armoiries peuvent avoir été gravées sur une reliureReliure : (position des armes sur la reliure.) Une reliure souvent postérieure au manuscrit, peut porter au dos et sur les plats, les armes du possesseur le plus récent., peintes ou dessinées sur les tranchesTranche : désigne les trois côtés du volume qui ne sont pas pris dans la reliure, par opposition au dos..

Paris, Bibl. Mazarine,
ms 3899, f. 1
Paris, Bibl. Mazarine, ms 3899
Nom du possesseur (Anthoyne de Beaufort) sur la tranche
Paris, Bibl. Mazarine,
ms 3899, f. 1
Paris, Bibl. Mazarine, ms 3899, f.1
Armoiries et banderole au nom du possesseur

Nom du possesseur sur la tranche (Anthoyne de Beaufort) ; ses armoiries en bas du premier feuillet accompagnées d'une banderole à son nom.

Dans la majeure partie des cas, on les trouve à l'intérieur du manuscrit, sur les folios au début ou à la fin du texte, mais aussi n'importe où au fil des pages.

Voir emplacement dans la page et marques d'appartenance.

Dans les manuscrits liturgiques (livres d'heures, bréviairesBréviaire : (breviarium, de "brevis" : court, abrégé de prières.) Livre de prières dont les diverses parties doivent-être récitées à certaines heures du jour, par ceux qui sont engagés dans les ordres sacrés ou qui possèdent quelques bénéfices ecclésiastiques., misselsMissel : (missalis, missale, liber missalis, de "missa" : messe.) Livre d'église qui fut composé au IXe siècle lorsque la coutume des messes basses se développa, obligeant le prêtre célébrant à tout lire ou chanter de la messe.…), elles apparaissent habituellement au début véritable du texte, après le calendrierCalendrier : ici calendrier liturgique, tableau des jours de l'année, indiquant les grandes fêtes religieuses du Christ, de la vierge et des saints à la date de leur mort..

Livre d'heures à l'usage du Mans
Cas d'une brisure
Armoiries pleines (armes à enquerre)

Juste au-dessus des armoiries qui sont à gauche, on lit : saint Silvestre pape (dernier saint du calendrier). A droite, en vis-à-vis, on voit les armoiries pleines de la famille apposées dans la marge inférieure du folio où débutent les Heures : d’argent à la croix d’or cantonnée de quatre roses de gueules boutonnées et feuillées de sinople, sur le tout à la bordure de gueules (armes à enquerre). Les armes de gauche, qui appartiennent à un autre membre de la même famille, sont plus compliquées ; elles constituent un beau cas de brisureBrisure : modification apportée aux armoiries pleines d'un individu. : une croix d’or cantonnée aux 1 et 4 d’une rose boutonnée et feuillée de sinople, aux 2 et 3 d’azur à une pomme de pin d’or, sur le tout à la bordure de gueules. Leurs possesseurs n'ont pas pu être identifiés.

Décoration marginale avec l’emplacement pour les armoiries laissé vide

L'écu préparé à l'avance est parfois resté vide, la décoration étant inachevée, ou le manuscrit étant en attente d’acquéreur.

Ayant valeur d’ex-libris, les armoiries sont rarement accompagnées du nom de leur propriétaire.

Paris, Bibl. Mazarine,
ms. 429, f. 1
Armes et devise
Paris, Bibl. Mazarine, ms. 429, f. 1

Le manuscrit Paris, Bibl. Mazarine 429 porte au f. 1 des armes et une deviseDevise : formule qui peut réunir une sentence, un mot, avec ou sans la représentation d'un emblème personnel., sans nom de possesseur. L'identification est possible par la comparaison avec les marques héraldiques identiques figurant dans le manuscrit Paris, Bibl. Mazarine 1765. Au dernier feuillet (f. 154v°) sont détaillés nom, date et devise du propriétaire, Robert Gaguin, général de l’ordre des Trinitaires (mort en 1501). Les armes, au f. 1, se lisent : d'argent à la croix mi-partie de gueules et d'azur chargée de cinq étoiles d'or, cantonnée de quatre quintefeuilles de sinople. Elles sont inspirées de celles de l'Ordre qui sont d'argent à la croix pattée, le montant de gueules et la traverse d'azur, et qui apparaissent sur son vêtement.

Paris, Bibl. Mazarine,
ms. 1765, f. 1
Paris, Bibl. Mazarine,
ms. 1765, f. 1
Armes de Gaguin
Paris, Bibl. Mazarine, ms. 1765, f. 1

Lorsque les armoiries sont seules on recourt aux dictionnaires spécialisés, aux tables de meubles et autres répertoires.

Voir : Identifier et dater.

Lorsque les armoiries d’un précédent possesseur ont été effacées, elles peuvent parfois être décelées en regardant par transparence au verso du feuillet.

Le manuscrit Paris, Bibl. Mazarine 1601 a appartenu à l’un des membres de la famille Budé. Ses armoiries, par deux fois dans les marges du recto du f. 12, ont été recouvertes d’une fine couche de peinture imitant un diapré (ici un rameau tigé et fleuri) ; au verso, elles apparaissent nettement en transparence, ce qui permet de les restituer correctement.

Paris, Bibl. Mazarine,
ms. 1601, f. 12
Paris, Bibl. Mazarine,
ms. 1601, f. 12
Paris, Bibl. Mazarine,
ms. 1601, f. 12

Sans que les anciennes armoiries aient été effacées, modifiées ou repeintes, on peut trouver aussi sur un même manuscrit les armes apposées par plusieurs possesseurs successifs, qu'ils soient ou non de la même famille. On peut retracer ainsi les aventures du manuscrit et dater, dans une fourchette parfois serrée, son passage entre des mains différentes.

La famille du ou des possesseurs ayant été identifiée, il est nécessaire de situer au plus près le possesseur lui-même. La généalogie, en nous instruisant sur sa filiation, ses alliances matrimoniales, vient confirmer ce que le système héraldique nous apprend sur lui. Un fils cadet, par exemple, n'a pas le droit de porter les armes pleines; il va alors utiliser une brisure, qui sera le plus souvent respectée.

Un personnage peut aussi associer les armes de son père et de sa mère dans un écartelé, ou celles de sa femme dans un parti.

Voici le cas d’un membre de la famille Crèvecoeur, dont les armes sont entourées de celles de ses deux femmes. Ses prétentions politiques ou territoriales s'inscrivent également dans les armoiries ; les différentes étapes de sa carrière apparaissent dans les ornements extérieurs. Tous ces éléments concourent à affiner la date où ont été apposées les armoiries.

Emplacement dans la page

Les armoiries se trouvent généralement au milieu de la marge inférieure à l'endroit prévu à cet effet, l'écu étant entouré de ses ornements, mais de nombreux autres emplacements et configurations sont possibles :

- Toute la bordure inférieure : Paris, Bibl. Mazarine, ms. 312, f. 237 : armes de Antoine de Crèvecoeur, Jeanne de Bernieulles, Bonne de La Viefville.

Famille Crèvecœur
Paris, Bibl. Mazarine, ms. 312, f. 237
Famille Crèvecœur
Paris, Bibl. Mazarine, ms. 312, f. 237

- Toutes les bordures (en alternance avec des motifs décoratifs) : Paris, Bibl. Mazarine, ms 473, f. 72 : armes de Charles de France, frère de Louis XI, duc de Normandie entre 1466 et 1469.

Paris, Bibl. Mazarine,
ms. 473, f. 72

- Dans les initiales qu'on dit alors initiales armoriées : Aix-en-Provence, Bibl. mun., ms. 19, p. 153 et 335 : armes de René d'Anjou.

Aix-en-Provence, Bibl. mun.,
ms. 19, p. 153

- Dans la miniature : (vitraux, tentures, cercueils, vêtements, prie-dieu...) Lyon, Bibl. mun., ms. 574, f. 55v° : vêtement d'une dame de la famille La Tour Landry alliée à la famille Des Haies de Cric.

Lyon, Bibl. mun.,
ms. 574, f. 55v°
Lyon, Bibl. mun.,
ms. 574, f. 55v°

- Au milieu d'une marge latérale : Troyes, Bibl. mun., ms. 786, f. 2, ici appendu par une ceinture à un tronc d'arbre correspondant à un membre de la famille Baillet.

Troyes, Bibl. mun.,
ms. 786, f. 2
Troyes, Bibl. mun.,
ms. 786, f. 2

- Intégrés au décor, avec ou sans marques de dignité : Avignon, Bibl. mun., ms. 6733, f. 29, 30, 30v°-31, 40 : armes du Pape Clément VII.

Avignon, Bibl. mun.,
ms. 6733, f. 29
Avignon, Bibl. mun.,
ms. 6733, f. 30
Avignon, Bibl. mun.,
ms. 6733, f. 30v°-31
Avignon, Bibl. mun.,
ms. 6733, f. 40

Marques d'appartenance

Ornements extérieurs

Les ornements héraldiques et para-héraldiques

Les ornements héraldiques extérieurs à l’écu sont le casque et le heaume qui ont suivi au cours du temps l’évolution de l’équipement militaire. Ils sont posés sur l’écu et surmontés d’un cimier issant d’une couronne.

Amiens, Bibl. mun.,
ms. Lescalopier 95, f. 1
Amiens, Bibl. mun.,
ms. Lescalopier 95, f. 1
Amiens, Bibl. mun.,
ms. Lescalopier 95, f. 1

Écu aux armes d’Adolphe de Clèves, seigneur de Ravenstein, timbré d’un heaume posé de trois-quarts d’où partent les lambrequins. Au-dessus du heaume un cimier, ici couronné d’or et non issant d’une couronne : une tête de bœuf ou de buffle (?) de gueules bouclée d’or (un anneau passé dans le naseau). De la couronne sort une paire de cornes de gueules fascées d’argent. Ce évoque peut-être la fasce échiquetée des quartiers 2 et 3. Autour de l’écu le collier de la Toison d’or.

Au casque est fixé parfois une sorte de cache-nuque en tissu qui va s’allonger et s’étoffer au cours des siècles jusqu’à se découper en lanières échevelées autour de l’écu, souvent aux couleurs des armes, et qu’on appelle les lambrequins. Ces éléments, qui surmontent l’écu, s’appellent les timbres en héraldique et ne sont pas forcément toujours signifiants, excepté les cimiers armoriés.

Aux côtés de l’écu, les supports, constitués de figures animales, monstrueuses, célestes ou humaines, qui semblent soutenir l’écu, sont parfois ornementaux, parfois personnels ou familiaux.

Paris, BnF, fr. 16995, f. 1
Paris, BnF, fr. 16995, f. 1

Béraud III, dauphin d’Auvergne, a fait apposer, dans la marge inférieure, ses armoiries soutenues par deux lévriers d’azur colletés de gueules. Ces supports sont repris sous forme héraldique dans les marges, alternant avec sa devise au panier couronné. La lettre initiale est chargée de son cimier.

Avignon, Bibl. mun.,
ms. 6733, f. 27v°
Avignon, Bibl. mun.,
ms. 6733, f. 27v°

Dans un écu ovale les armoiries de Clément VII pape d’Avignon (Robert de Genève), surmontées des clés papales passées en sautoir derrière l’écu. Supports : deux dragons qui font partie du décor.

Autun, Bibl. mun.,
ms. 275, f. 3v°
Autun, Bibl. mun.,
ms. 275, f. 3v°
Autun, Bibl. mun.,
ms. 275, f. 3v°

Armes parties et chiffre N G de Nicolas Rolin, chancelier de Bourgogne, et de sa troisième épouse Guigonne de Salins. Supports : deux anges agenouillés. Devise de Guigonne : « SEULLE ».

Chaumont, Bibl. mun.,
ms. 33, f. 65v°

Armes écartelées de l’évêché de Langres et de celles de son évêque Jean d’Amboise. Supports : deux hommes sauvages. Une crosse derrière l’écu.

Les colliers d’ordre, qui entourent l’écu, et les insignes de dignité religieux ou militaires, qui passent derrière l’écu, sont strictement personnels.

Paris, BnF, fr.,
ms. 9198, f.1

Armes de Philippe le Bon timbrées d’un casque de face cimé d’une double fleur de lis encadrée de son mot « AULTRE NARAY ». L’écu est entouré du collier de la Toison d’or, ordre qu’il a fondé en 1430. Le collier, auquel est attachée une toison d’or, est lui aussi d’or et composé de briquets stylisés arrangés deux par deux. Le briquet est l’une des plus fameuses devises du duc. On peut lire le « B » de Bourgogne dans la forme du briquet.

Autun, Bibl. mun.,
ms. 139, f. 1

Armes d’Antoine de Chalon, évêque d’Autun. Une crosse est posée en pal derrière l’écu.

Avignon, Bibl. mun.,
ms. 145, f. 2v°

Armoiries de Georges d’Armagnac (fait cardinal en 1544), timbrées du chapeau rouge à huit houppes (glands qui terminent la cordelière fixée au chapeau) et de la croix épiscopale. De chaque côté son chiffre G A entrelacé. A la pointe de l’écu, sous les houppes, sa devise: une gerbe de blé.

Avignon, Bibl. mun.,
ms. 6733, f. 6

Armoiries de Clément VII pape d’Avignon (Robert de Genève) insérées dans le décor encadrant l’image. Sont également visibles en bas de l'image les clefs et la tiare.

Avignon, Bibl. mun.,
ms. 6733, f. 28

A de nombreuses reprises dans le manuscrit, l’enlumineur joue avec le motif des armoiries du pape Clément VII sans rappeler son rang : dans une simple lettre ornée à gauche, elles sont tenues par un ange à droite, et enroulées dans la queue d’un dragon à gauche de la marge inférieure.

Avignon, Bibl. mun.,
ms. 6733, f. 40

Ici un enfant joue avec un dé dont chaque face représente les armes du pape Clément VII, possesseur du livre. Apparemment, rien de rappelle son rang. En fait le petit moulin de l’enfant montre les deux clefs du pape.

Paris, Bibl. Sainte-Geneviève,
ms. 1071, f. 5

Armes de Henri de Schomberg, surintendant des finances, maréchal de France en 1625, entourées des colliers des ordres de Saint-Michel et du Saint-Esprit. Deux bâtons de maréchal passés en sautoir derrière l’écu.

Paris, Bibl. Sainte-Geneviève,
ms. 1071, f. 5

Armes de l’amiral Malet de Graville posées sur la trabe d’une ancre marine.

Initiales et chiffres, devises et emblème

Les initiales, les chiffres, marques d’identité, s’intègrent le plus souvent dans le décor du manuscrit. Celles-ci peuvent accompagner des armoiries, être associées à des devises ou des emblèmes, formant ainsi un ensemble plus riche de renseignements sur le possesseur.

Paris, Bibl. Mazarine,
ms. 502, f. 154

Armoiries et initiales G et E associées au nom du possesseur Guillaume Enlart.

Paris, Bibl. Sainte-Geneviève,
ms. 147, f. 2

Initiales C et P encadrant les armoiries de Charles Pallavicini, évêque de Lodi de 1456 à 1497, auteur et commanditaire.Commanditaire : (de manuscrit) personne physique ou morale, sur les instructions de qui, et aux frais de qui le volume a été exécuté.

Amiens, Bibl. mun.,
ms. Lescalopier 95, f. 1

Initiales d’Adolphe de Clèves, seigneur de Ravenstein et de son épouse Béatrice du Portugal : A et B réunies en un chiffre répété quatre fois. Devise sur un listel : « PLUS QUÕQUES MES » répétée deux fois. La composition de la page donne l’assurance que le manuscrit a été commandé par Adolphe de Clèves après la date du mariage (1453). Devenu chevalier de l’ordre de la Toison d’or en 1456, il avait obligation de faire représenter son collier autour de ses armes. Pour avoir mal interprété les éléments intégrés au décor, et avoir ignoré que son fils Philippe ne fut jamais chevalier de la Toison d’or, on attribua longtemps à tort à ce dernier le manuscrit d’Amiens.

Paris, BnF, fr., ms. 227, f. 1

Chiffre de Jeanne de Bourbon, fille de Charles VII, lié au collier d’une genette rampante.

La devise, au sens héraldique du terme, et non dans son acception habituelle est constituée par l’association d’une figure et d’un mot (de l’italien « motto »). Elle devient en vogue à partir du XIVe et surtout du milieu du XVe siècle ; elle est personnelle ou non, accompagne ou non des armoiries.

Chantilly, Bibliothèque du château, ms. 60, f. 164

Armes d’Anne de France, épouse de Pierre II de Beaujeu, avec pour support le cerf volant au cou duquel est passé la ceinture ESPERANCE. Cette devise est fréquente dans l’emblématique de la maison de Bourbon et particulièrement utilisée par Pierre II et Anne.

Le mot est généralement inscrit sur une banderole - ou listel - située autour de l’écu, ou prend place, souvent à plusieurs reprises, dans le décor des marges des manuscrits.

Paris, Bibl. Mazarine, ms. 429, f. 1

Devise de Robert Gaguin: « SPES MEA DEUS »

Paris, Bibl. Mazarine, ms. 430, f. 1

Devise de l’ordre des Trinitaires de Paris : « STIPENDIA PECCATI MORS »

Paris, Bibl. Mazarine, ms. 3847, f. 4v°

Devise d’un membre de la famille Guillard : « STIMULOS DEDIT EMULA VIRTUS » sur un listel entourant un Pégase.

L’autre élément, qui constitue le corps de la devise, est une figure appropriée à la personne, répétée à l’envi sur bien d’autres supports (vêtements, étendards, tapisseries, orfèvrerie, tableaux, vitraux, sceaux, monnaies). Une même personne peut avoir plusieurs devises. Dans les manuscrits ces figures sont tout autant considérées comme marques personnelles que comme motifs décoratifs.

Carpentras, Bibl. mun., ms. 375, f. 2
Carpentras, Bibl. mun., ms. 375, f. 2
Carpentras, Bibl. mun., ms. 375, f. 2

Le manuscrit est l’œuvre du poète Charles d’Orléans et sa troisième épouse Marie de Clèves a intégré dans cette page ses armoiries et ses devises : la première initiale est chargée des armoiries parties de celles de Charles et des siennes. Dans la marge inférieure, armoiries répétées à deux reprises encadrant les devises de Marie : le chiffre M et l’ancolie. La chantepleure et le mot « RIEN NE M’EST PLUS » ont été ajoutés postérieurement aux autres marques, sans doute après la mort de Charles.

Peu à peu, la devise va se confondre avec les emblèmes, devenir plus élaborée, allégorique, intellectuelle, utilisant jeux de mots, rébus et anagrammes . Elle vise à exprimer davantage la personnalité du possesseur.

Paris, Bibl. Mazarine, ms. 3899, f. 91v°

Un olivier et sur une pancarte la devise : « OLIM OLEAE SUAE OLIVINAM OLEA » portée par l’auteur des œuvres contenues dans le manuscrit, Olivier de Beaufort. On notera ici le jeu entre la figure, les lettres du mot et le prénom.

Paris, Bibl. Sainte-Geneviève,
ms. 246, f. 1

Dans la marge inférieure, devise de Mathieu Beauvarlet limitée à un mot, anagramme de son nom « VA HATIVETE MA BRULE ».

Parallèlement, on peut aussi trouver des pages au contenu emblématique habituel, comme celle consacrée à Louis XII et Anne de Bretagne, qui réunit un programme complet : leurs chiffres L et A couronnés et accompagnés de leurs emblèmes respectifs, le porc-épic et l’hermine, encadrant leurs armoiries jointes sous une couronne royale et entourées du collier de l’Ordre de Saint-Michel et de la cordelière.

Tours, Bibl. mun., ms. 217, f. Av°

Ex-libris

Outre les armes, les manuscrits peuvent contenir bien d’autres notes et marques permettant de connaître son ou ses ancien(s) possesseur(s): ex-libris, ex-dono, cotes anciennes, mentions de prêt, de mise en gage, etc.

Un ex-libris est une formule notifiant l'appartenance d'un livre à une personne physique ou morale (Denis Muzerelle, Vocabulaire codicologique, Paris, 1985, p.138).

Paris, Bibl. Sainte-Geneviève,
ms. 391, f. 149
Paris, Bibl. Sainte-Geneviève,
ms. 391, f. 149

« Iste liber est petri aurifabri », « ce livre est à Pierre Lorfèvre »

Il ne faut pas le confondre avec l’ex-dono, formule notifiant le don d’un objet ou d’un livre par une personne (morale ou physique) à une autre.

Un ex-dono :

Paris, Bibl. Sainte-Geneviève,
ms. 1181, f. 439v°
Paris, Bibl. Sainte-Geneviève,
ms. 1181, f. 439v°

« Haec Biblia dedit et legavit ecclesie Silvanectensi deffunctus Johannes Aurifabri anno Domini M°IIIc duodecimo mense augusti », « Cette Bible fut donnée et léguée a l’église de Senlis par défunt Jean L’Orfevre l’an du Seigneur M°IIIIc duodecimo, mense augusti »

Les ex-libris peuvent être manuscrits (cas le plus courant) ou gravés (on rencontre ces derniers surtout à partir du XVIIe siècle).

Paris, Bibl. Mazarine,
ms. 350, contreplat sup.

Ex-libris gravé de Nicolas Joseph Foucault : « Ex bibliotheca Nicolai Joseph Foucault comitis consistoriani ».

Les notes d’appartenance ne sont parfois que des essais de plume : après avoir taillé sa plume et pour vérifier qu’elle était bien taillée, le possesseur du livre pouvait écrire quelques mots ou tracer quelques dessins sur les espaces laissés blancs dans le manuscrit (principalement sur les dernières pages.

Paris, Bibl. Sainte-Geneviève,
ms. 393, f. 383v°
Paris, Bibl. Sainte-Geneviève,
ms. 393, f. 383v°

Notes et dessins de Pierre Lorfèvre.

Les ex-libris permettent donc, de la même façon que les armoiries, d’affirmer la possession du livre. Outre le nom du possesseur, ils nous donnent parfois d’autres informations, comme son statut social, sa profession, son origine géographique, les circonstances d’acquisition du manuscrit (date, lieu, prix…), etc…

Paris, Bibl. Mazarine,
ms. 381, f. 1

« Ce present psaultier est pour l’usaige de seur Marie de Pardieu, lequel luy donna sa tante seur Ysabeau de Waudricourt pour sa profession l’an mil cincz cens et quatorze. S.M. de pardieu » : Marie de Pardieu a reçu ce livre de sa tante lors de son entrée au monastère de Poissy, en 1514.

Un même manuscrit peut porter plusieurs ex-libris, qui y ont été apposés par plusieurs possesseurs successifs. Parfois, le possesseur postérieur a cherché à effacer ou à camoufler l’ex-libris de son prédécesseur.

Paris, Bibl. Sainte-Geneviève,
ms. 393, f. 3v°
Paris, Bibl. Sainte-Geneviève,
ms. 393, f. 3v°

« Istud Pandectae vetus est Petri Aurifabri » : le nom de Pierre Lorfèvre a été ajouté après grattage du nom du possesseur précédent.

Paris, Bibl. Sainte-Geneviève,
ms. 393, f. 203v°
Paris, Bibl. Sainte-Geneviève,
ms. 393, f. 203v°
Paris, Bibl. Sainte-Geneviève,
ms. 393, f. 203v°
Paris, Bibl. Sainte-Geneviève,
ms. 393, f. 203v°

Gaufridus Fulconis (Geoffroi Foulques) a inscrit les initiales de son nom dans son seing notarial (accompagné, en bas à droite de la note « Signum est mei Gaufridi Fulconis notarii parisiensis » ; lorsqu’il a pris possession du livre, Pierre Lorfèvre a ajouté son nom « P. Aurifabri » de chaque côté du seing.
Calques de couleurs :
Istud parvum volumen est P. Aurifabri
P. Aurifabri, Perrin Lorfevre
Guillelmus de Tyo[nville]
P. Gandoys
Petrus Aurifabri est unus bonus puer

L’association d’ex-libris et d’armoiries sur un même livre s’applique soit dans le cas de possesseurs successifs, soit comme renforcement de l'affirmation de possession, dans un système de complémentarité entre une image et un texte.

Paris, Bibl. Sainte-Geneviève,
ms. 20, f. 248
Paris, Bibl. Sainte-Geneviève,
ms. 20, f. 248
Paris, Bibl. Sainte-Geneviève,
ms. 20, f. 248

« Ce livre est a noble et puissant seigneur messire Guillaume de La Baume, seigneur d’Illeins, chevalier d’honneur de madame la duchesse de Bourgogne » ; les deux informations (ex-libris + armoiries) créent en fait une redondance.

Identifier et dater

Comment reconnaître le propriétaire des armoiries figurant sur un manuscrit ? Peut-on savoir d’où provient ce manuscrit, qui l’a copié, qui l’a décoré ? Il n’est pas toujours aisé de répondre à ces questions. Dans les deux premières images, tirées du même manuscrit, un livre d’heures en latin du milieu du XVe siècle (Paris, Bibl. Mazarine, ms. 478) sont visibles des armoiries très effacées, d’argent à une fasce bretessé et contre-bretessée d’azur, qui n’ont pas pu être identifiées. La troisième image montre une note du début du XVIe siècle figurant sur le deuxième contreplat d’un livre de chœur de très grand format (598 x 405 mm.) (Paris, Bibl. Mazarine, ms. 432). Il a été écrit et terminé le 11 octobre 1505 par une carmélite du couvent de Syon (Bruges), Margareta Bruunruwe. Sa consoeur Cornelia Wultinchkercke a réalisé le décor. La formule figurant à la fin de la note invite les fidèles à imiter les pieuses activités des deux moniales et à prier pour elles. Voici la transcription de la note : « Hoc temporale scripsit atque complevit soror Margareta Bruunruwe monialis professa VIIa domus Syon in Brugis, ordinis dive virginis Marie de Monte-Carmeli, et illuminavit soror Cornelia de Wultinchkercke, ejusdem domus et ordinis monialis professa XIIII, anno Domini VcV, xi die mensis octobris. O vos presentes et subsequentes, imitamini ocia earum et oretis pro eis ».

Paris, Bibl. Mazarine,
ms. 478, f. 215
Paris, Bibl. Mazarine,
ms. 478, f. 97v°
Paris, Bibl. Mazarine,
ms. 432, deuxième contreplat

Voici trois exemples illustrant comment identifier et dater de manuscrits à partir des armoiries inscrites par leurs propriétaires.

Le manuscrit de l'évêque Pallavicini

Paris, Bibl. Sainte-Geneviève,
ms. 147, f. 1v°-2
Armes de Charles Pallavicini
Paris, Bibl. Sainte-Geneviève,
ms. 147, f. 1v°-2

Le manuscrit 174 de la Bibl. Sainte-Geneviève 147, un pontificalPontifical : désigne un manuscrit de type., a été réalisé pour Charles Pallavicini, évêque de Lodi en Italie, durant son épiscopat de 1456 à 1497. Au f.2, dans la même manière que le décor, sont peintes ses armoiries : un échiqueté de gueules et d'argent, au chef d'or chargé d'une aigle de sable. L'écu est accosté de ses initiales C P et surmonté d'une mitre et d'une crosse d'évêque. L'ensemble est cohérent, on peut affirmer que l'évêque fut bien le commanditaire de ce manuscrit.

Le manuscrit du couple Jean Pot - Georgette Balzac

Datable du premier tiers du XVe siècle pour sa composition, ce très beau manuscrit du « Livre de la chasse » de Gaston Phébus (Paris, Bibl. Mazarine, ms. 3717) a été acquis au XVIe siècle par Jean Pot, seigneur de Rhodes (descendant de Renier Pot, chevalier de la Toison d’or, chambellan des ducs de Bourgogne et de Philippe Pot dont le tombeau est conservé au Louvre). Il a fait apposer ses armes à plusieurs reprises au cours du manuscrit, dans des espaces laissés libres par le texte. Au folio 1, elles apparaissent seules, bien en vue, visiblement posées sur le décor : d’or à la fasce d’azur, au lambel à trois pendants de gueules. Au folio 104v°, elles sont placées entre les deux colonnes du texte. La brisure du lambel ne peut à elle seule nous permettre d’identifier le personnage dans la généalogie des Pot. Au folio 53v°, dans un espace du décor de la marge inférieure laissé libre, les armoiries apparaissent mi-parties : au I d’or à la demi-fasce d’azur, au demi-lambel de gueules ; au II d’azur à un flanchis et un demi-flanchis d’argent au chef d’or chargé d’un flanchis et d’un demi-flanchis d’azur le second parti étant celui de Georgette de Balzac, que Jean Pot a épousée le 10 mai 1538. Ceci nous permet d’affirmer que le manuscrit a appartenu au couple.

Paris, Bibl. Mazarine,
ms. 3717, f. 1
Paris, Bibl. Mazarine,
ms. 3717, f. 104v°
Paris, Bibl. Mazarine,
ms. 3717, f. 53v°

Dès le folio 1, un infime détail dans la miniature de présentation aurait pu nous donner un indice de cette appartenance: chacune des deux fenêtres à vitraux situées sous la charpente porte un écu tout petit, le premier aux armes Pot, le second aux armes mi-parties Pot-Balzac.

Un manuscrit repeint aux armes de l'évêque Amboise Arnauld

Paris, Bibl. Mazarine,
ms. 1581, f. 1
Paris, Bibl. Mazarine,
ms. 1581, f. 311
Paris, Bibl. Mazarine,
ms. 1581, f. 1

D’après le Catalogue des manuscrits de la Bibliothèque Mazarine, le ms. Paris, Bibl. Mazarine. 1581 (Flavius Josèphe, Antiquitates Judaicae), au superbe décor, a été fait pour le cardinal Georges d'Amboise (mort en 1510). Or à première vue on ne repère nulle trace de ce premier possesseur, dont on sait par ailleurs qu'il a abondamment fait marquer ses livres : armoiries timbrées (palé d'or et de gueules de six pièces surmontées du chapeau rouge à houppes) mots, devise.

Seules les armoiries d'un évêque au chapeau vert, très soignées, figurent aux folios 1, 311 et 387, mais ce ne sont pas celles du cardinal. Ce sont celles d’Henri Arnauld, évêque d'Angers (1649-1692), (frère du Grand Arnauld, c’est-à-dire le théologien Antoine Arnauld (1612-1694), principal représentant du jansénisme français) : d'azur au chevron d'or accompagné en chef de deux palmes d'or et en pointe d'un mont du même, timbrées d'une mitre et d'une crosse surmontées d'un chapeau vert à houppes. Elles sont donc postérieures d'environ cent cinquante ans à la date de composition du manuscrit. L'examen du verso des feuillets ne révélant rien de suspect, on peut présumer que les armes d’Henri Arnauld ont été apposées après grattage des marques antérieures. Seul l’examen des photos révèle une sorte de halo clair autour du programme héraldique, qui peut témoigner des modifications effectuées.

Paris, Bibl. Mazarine,
ms. 1581, f. 311
Paris, Bibl. Mazarine,
ms. 1581, f. 387v°

Cependant en feuilletant le manuscrit on découvre, au folio 89v°, dans un décor à l'italienne particulièrement chargé, un angelot posant sa main sur un minuscule bouclier (lui aussi à l'italienne) portant les pals du cardinal Georges d’Amboise. On repère en outre aux folios 311 et 387v°, enroulés autour d'une colonne décorant la marge de droite, de haut en bas, les mots de la devise du cardinal : NON CONFUNDAS ME DOMINE AB EXPECTATIONE MEA, connue grâce à d'autres manuscrits l’associant à ses armes (Chantilly, ms 833, f. 3, mots ici repeints par-dessus ceux d'une autre devise).

Celui qui a si bien su reprendre la peinture des armes n'a pas pensé à masquer les mots de la devise et à maquiller le petit écu. C'est grâce à ces indices qu'on peut reconstituer les débuts de l'histoire du manuscrit. Hormis cela, aucun autre élément d’histoire n’est offert, en particulier pour les années entre la mort du cardinal et l’acquisition du manuscrit par l’évêque Arnauld. D’autres types de recherche sont nécessaires pour l’éclairer : transmission de bibliothèque, don, vente, héritage.

Pour citer cette page : « Manuscrits et marques d'appartenance », dans Des armoiries et des livres. Les manuscrits de Pierre Lorfèvre, D. Nebbiai, H. Loyau, P. Barasc, C. Gadrat, eds, Paris-Orléans, IRHT, 2010 (Ædilis, Publications pédagogiques,7). [En ligne] http://lorfevre.irht.cnrs.fr/manuscrits_et_marques_dappartenance.html