Issu d’une importante famille de Senlis, Pierre Lorfèvre (mort vers 1416) est un fonctionnaire royal. Après des études juridiques en France et en Italie, sans doute à Bologne, il intègre, avec la fonction d’avocat, le Parlement de Paris. Le Journal de Nicolas de Baye confirme qu’il occupait ce poste en 1409.
Chancelier du duc d’Orléans, puis conseiller du roi Charles VI, Pierre fréquente le milieu d’érudits et de savants qui illustrent la cour à cette époque. Il partage avec ses familiers et amis le goût pour les livres. Héritier des manuscrits de son oncle, doyen de la cathédrale de Senlis, Pierre en acquiert lui-même d’autres ; les livres sont en effet pour lui un outil de formation et un instrument travail, mais sont aussi un symbole de son statut intellectuel et social.
C’est pour cette raison sans doute que, premier dans sa famille, il prend la décision d’y inscrire ses armes : d’or à l’écusson de sable en abîme, à la cotice de gueules brochant sur le tout.
Pierre Lorfèvre s’inspire d’une pratique courante à son époque : l’usage de marques héraldiques se répand sur toutes sortes de supports, dans différents milieux sociaux.
A Senlis, les Lorfèvre comptent des membres illustres à l’intérieur du chapitre cathédral. Ainsi l’oncle et parrain de Pierre, propriétaire de manuscrits, a été doyen de la cathédrale.
Jean Lorfèvre, un cousin de Pierre, fonctionnaire royal, était propriétaire en 1402 d’un hôtel sis sur la place aux grains de la ville de Senlis. Dans son testament, rédigé peu avant sa mort, en 1412, il a légué à la cathédrale de la ville sa Bible. Le livre, qui portait alors une reliure de cuir blanc avec des fermoirs en laiton, est l’actuel manuscrit Bibl. Sainte-Geneviève 1181.
Pierre, quant à lui, marque de son vivant sa fidélité à la cathédrale : il y fait construire une chapelle dédiée à Sainte-Catherine, où il sera enterré. Mais surtout, il décide en 1408, d’y faire construire une bibliothèque à laquelle il s’engage à attribuer plusieurs livres, leur valeur étant estimée à six cents florins. Ce don est confirmé par un testament de 1411.
Ce legs d’importance considérable donna lieu à des contestations dans la famille, qui permettent de mesurer l’ampleur de l’enjeu économique représenté par cette bibliothèque. Ainsi, au terme du premier procès, Jeanne de Sens, la veuve de Pierre, eut à remettre au chapitre, le 25 février 1424, une série de manuscrits. Leur liste complète n’est pas connue.
Fondée au VIe siècle sur l’emplacement d’une chapelle en l’honneur de la Vierge près de l’enceinte gallo-romaine de la ville, reconstruite au XIIe siècle, la cathédrale Notre-Dame de Senlis a possédé une bibliothèque importante, dont les plus anciens manuscrits conservés, comme le Sacramentaire (Paris, Bibl. Sainte-Geneviève 111), datent du IXe siècle.
Il reste une quarantaine de manuscrits, la plupart sont passés au XVIIIe siècle à l’abbaye de Sainte-Geneviève.
Riche surtout en livres religieux, la collection est inventoriée à plusieurs reprises au cours du Moyen Age. On a conservé un inventaire datant de 1292, qui recense une soixantaine de volumes manuscrits, en majorité des livres liturgiques et bibliques, mais on remarque aussi des textes historiques.
La bibliothèque de la cathédrale de Senlis s’est enrichie tout au long du Moyen Age surtout grâce aux dons des évêques et des chanoines. Parmi les donateurs, figurent des personnages issus d’importantes familles de la région, voire des intellectuels comme le théologien Pierre Plaoul (évêque de Senlis, mort en 1415) ou l’humaniste Simon de Plumetot. L’un des apports les plus considérables vient, dans les toutes dernières années du XIVe siècle, du doyen Pierre Lorfèvre, oncle du Pierre ici étudié qui a été son héritier (tableau généalogique).
Evêque de Senlis, mort en 1415, Pierre Plaoul est un théologien connu pour avoir composé un commentaire sur les quatre livres des Sentences de Pierre Lombard. Son activité est attestée à l’Université de Paris où il a enseigné la théologie dans les années 1391 à 1393. Contenu et méthodes peuvent être partiellement reconstitués grâce aux notes prises par l’un de ses étudiants, le clerc normand Richard de Basoches, dans l’actuel manuscrit Paris, BNF latin 3074.
Sentences de Pierre Lombard
Troyes, Bibl. mun., ms. 355, f. 1 |
Né en 1371 à Plumetot, village normand situé entre Caen et Bayeux, Simon entre comme boursier à l’abbaye de Saint-Victor de Paris. Après une formation en arts libéraux, il entreprend des études de théologie qu’il abandonne toutefois pour s’inscrire en droit à l’université d’Orléans. Il y obtient, dans les toutes dernières années du XIVe siècle, le grade de bachelier en droits civil et canon, puis la licence en droit. C’est le point de départ d’une carrière brillante, partagée entre les bénéfices ecclésiastiques (il a été chanoine de Senlis, de Chartres, de Caen et de Bayeux) et l’activité politique et judiciaire, auprès du Parlement de Paris.
Partisan des Anglais, Simon de Plumetot quitte Paris en 1436 et regagne la Normandie, où il s’éteint en 1443. Son tombeau, dans l’église du prieuré de Saint-Lô à Rouen, portait une épitaphe et reproduisait également ses armes (un chevron et trois plumes, deux en chef et une en pointe). C’est sans doute avant son départ de Paris que Simon de Plumetot a offert ses manuscrits à la bibliothèque de l’abbaye de Saint-Victor. Plus de 80 manuscrits ont été conservés, contenant des classiques latins, des textes théologiques, juridiques et scientifiques. La plupart portent l'ex-libris et des annotations de la main de Simon. Aucun ne semble en revanche avoir été marqué de ses armes.
Pierre Lorfèvre est aussi lié au Parlement de Paris. Au temps de Charles VI, ses membres forment un groupe homogène. Se connaissant depuis les études, qu’ils ont souvent accomplies dans les mêmes collèges et universités, ces fonctionnaires rassemblent d’importantes collections personnelles. Elles atteignent généralement la centaine de volumes, mais certaines ont été beaucoup plus importantes.
Cour de justice du royaume, le Parlement de Paris était au XIVe siècle composé de trois chambres (Grand-Chambre, Chambre des enquêtes, Chambre des requêtes) qui avaient chacune des compétences propres dans le règlement des questions juridiques. Premier grand corps de l’Etat, son personnel était composé de membres professionnels, nommés et gagés par le roi. Le succès et le rayonnement de l’institution viennent du haut niveau de formation de ses juges et conseillers, tous diplômés de droit civil et canon.
Dès le milieu du XIVe siècle, la monarchie a besoin de recruter des hommes très cultivés pour occuper les charges d’une haute administration en pleine expansion. C’est dans ces conditions qu’apparaît en France une couche sociale nouvelle. Ses membres, d’origine bourgeoise, mais très proches du clergé et de la noblesse (l’anoblissement venait souvent récompenser leurs bons services), sont très influents parce que protégés par la royauté.
Gérant habilement leurs patrimoines et leurs réseaux de relations, ces parvenus sont compétents, actifs, consciencieux et font preuve d’un réel sens des responsabilités envers le roi. Sous l’influence de l’humanisme italien, leur goût pour la culture trouve ses racines dans la pratique même de la profession. Pour écrire des lettres et des discours élégants, un secrétaire de chancellerie, par exemple, se devait de posséder une connaissance approfondie des classiques latins.
L’une des institutions d’enseignement parisiennes les plus renommées à cette époque est le collège de Navarre. Fondé en 1305 par la reine de France Jeanne de Navarre à Paris, sur la montagne Sainte-Geneviève, pour accueillir soixante-dix étudiants d’origine champenoise, le collège de Navarre prend une place centrale dans le cadre de l’université de Paris sous les règnes de Charles V (1364-1380) et de Charles VI (1380-1422). Il devient alors le lieu de formation de brillants orateurs et d'intellectuels en mesure de rivaliser avec les diplomates italiens. C’est au collège de Navarre que le roi et les princes vont alors recruter leurs conseillers. Pépinière d’humanistes et de théologiens, le collège a possédé une importante bibliothèque qui s’est enrichie grâce aux dons de ses membres et dont de nombreux manuscrits ont été conservés.
Manuscrit provenant du Collège de Navarre
Paris, Bibl. Mazarine, ms. 1695, f. 38v° |
Le personnel du Parlement de Paris compte de nombreux bibliophiles. Voici deux exemples illustres :
Juriste de formation, Nicolas de Baye est né en 1364 à Baye, en Champagne, au sein d’une famille modeste. Affranchi en 1373, il obtient également alors l’habilitation «à recevoir tonsure de clerc» ; mais sa véritable ascension sociale commence en 1380, lorsqu’il intègre, avec une bourse, le collège parisien de Dormans-Beauvais. Il fait ici une partie de ses études et devient membre du conseil d’administration.
Après avoir complété sa formation juridique à l’université d’Orléans, Nicolas est élu en 1400 greffier au Parlement de Paris, succédant à Jean Willequin. Il reste à cette charge jusqu’en 1416.
Nicolas a aussi été titulaire d’importantes charges ecclésiastiques : il a cumulé les titres de chanoine de cathédrales de Paris, de Soissons et de Châlons. Rédigé tout au long de son activité parisienne, son Journal constitue un témoignage unique sur le milieu du Parlement de Paris au temps du règne de Charles VI.
On a également conservé l’inventaire de ses archives et de sa bibliothèque personnelle, qui était riche de deux cents manuscrits.
Dressé après sa mort en 1419, l’inventaire des biens de Nicolas de Baye décrit, pièce après pièce, sa maison, un hôtel particulier près du cloître de Notre-Dame de Paris (document : Paris, Arch. nationales S 1822, n° 4). L’inventaire donne la liste complète de ses livres, qui étaient au nombre de 198. Ils relevaient de toutes disciplines. A côté de nombreux ouvrages religieux, patristiques et théologiques (plus d’une soixantaine de volumes, parmi lesquels émerge l’œuvre d’Abélard, marque d’un intérêt déclaré vers la théologie spéculative) et les textes de droit canon et civil (vingt-quatre volumes), Nicolas possédait un choix notable d’auteurs de l’Antiquité latine (Frontin, Juvénal, Macrobe).
Sa collection d’œuvres littéraires, en latin et en français, témoigne de son adhésion aux valeurs humanistes alors répandues dans le milieu des fonctionnaires de la cour.
Né en 1368 à Paris, Jean Lebègue est l’un des proches de Pierre Lorfèvre. Il a demandé en mariage sa fille, Catherine.
Issu d’une famille de fonctionnaires, Jean a étudié le droit, probablement à l’université d’Angers. Il est ensuite entré au Parlement de Paris avec la fonction de secrétaire de la chancellerie. En 1407, il devient greffier de la Chambre des comptes, charge qu’il va occuper sans interruption jusqu’en 1445.
Lebègue a passé commande à d’excellents copistes et n’a pas hésité à faire appel à des peintres réputés pour illustrer ses livres. On a conservé vingt-deux manuscrits issus de sa collection. Il a également participé, en 1411 et 1413, à la rédaction des inventaires de la librairie du Louvre. Il est également auteur de quelques traduction et d’œuvres originales : on dénombre quelques poèmes et des vers de circonstance, des instructions pour l’illustration des Histoires de Salluste (ms. Oxford, Bodleian Library, D’Orville 141) et un traité technique sur la composition des couleurs, rassemblant environ cent cinquante-deux recettes de couleurs en latin et en français et précédé d’une table de synonymes et de nuances des couleurs.
Pour citer cette page : « Pierre Lorfèvre », dans Des armoiries et des livres. Les manuscrits de Pierre Lorfèvre, D. Nebbiai, H. Loyau, P. Barasc, C. Gadrat, eds, Paris-Orléans, IRHT, 2010 (Ædilis, Publications pédagogiques, 7). [En ligne] http://lorfevre.irht.cnrs.fr/pierre_lorfevre.html