Des armoiries et des livres

Les manuscrits de Pierre Lorfèvre

Héraldique

La connaissance de l'Héraldique rend de grands services aux médiévistes dans l'étude des manuscrits peints aux armes. Elle permet d'en identifier les différents possesseurs, de dater l'apposition de leurs armoiries et parfois la composition même du manuscrit.

L’héraldique est la science qui a pour objet l’étude des armoiries. D’après Michel Pastoureau « celles-ci peuvent se définir comme des emblèmes en couleurs, propres à un individu, à une famille ou à une collectivité, et soumis dans leur composition à des règles particulières qui sont celles du blason ».

Paris, Bibl. Mazarine,
ms. 2028, f. 2
Avignon, Bibl. mun.,
ms. 145, f. 2v°
Paris, Bibl. Mazarine,
ms. 3847, f. 4v°

Terminologie Héraldique

Blason

Ce terme ne désigne pas un « écu » (même si on peut trouver parfois le terme blason pour désigner un écu armorié dans les sources du médiévales). Le blason recouvre l’ensemble des règles propres à la science héraldique. Celles-ci régissent le vocabulaire des couleurs et des figures, et la syntaxe du langage particulier à la description des armoiries, des plus simples aux plus compliquées.

Armes de la famille d'Harcourt

Le blasonnement est la description des armoiries en langage héraldique.

L’art de blasonner consiste à être à la fois le plus précis et le plus concis possible. Prenons un exemple simple : le comte d’Harcourt porte un écu rouge chargé d’un bord à l’autre, en son milieu, de deux rubans jaunes parallèles. En langage héraldique, on dira brièvement : de gueules à deux fasces d’or.

Armoiries

Ce sont les emblèmes en couleur propres à un individu, une famille, une collectivité, soumis aux règles particulières du blason. Marques identitaires, elles sont devenues rapidement héréditaires.
Les armoiries sont composées de couleurs et de figures, signes visuels faits pour être reconnus de loin et par tous. Elles s’inscrivent en général dans le contour d’un écu dont la forme est extrêmement variable. On peut les retrouver sur tous supports : bannières, tenues vestimentaires, vitraux, tombeaux, mobiliers, pavements, tapis, sceaux, manuscrits, reliures, etc.
Selon les cas, autour des armoiries, peuvent être figurés des ornements extérieurs qui précisent les fonctions de leur propriétaire.

Ecu de parade
Reliure armoriée
Tabard armorié
Prie-dieu armorié
Vitrail armorié
Housse de cheval
Cottes d'armes
Bannières
Sceau

Les armoiries ne sont pas toujours inscrites dans un contour fixe. Elles peuvent se signaler uniquement par des couleurs et des figures sur de nombreux supports:
- vêtements et tissus armoriés (manteaux, cottes d’armes, housses de cheval, bannières),
- encadrements de vitraux, tomettes et carreaux de céramique, sceaux et monnaies, décor des livres.
Ces motifs récurrents sont parfois associés à des emblèmes et autres marques d’appartenance.

Ecu

Ce terme désigne, comme l’a bien défini Michel Pastoureau, la surface géométrique délimitée par un périmètre de forme variable sur laquelle sont placées les armoiries. Les armoiries sont le contenu et l'écu le contenant.

Bouclier scutiforme
Targe
Tulipe
Ovale
Poire inversée
Losange

Un écu évoque bien sûr le bouclier, un des principaux supports de l’armoirie. Mais la forme de cet écu évolue avec le temps et les modes et l’armoirie peut s’inscrire dans différents cadres dont les formes sont parfois signifiantes. Le bouclier scutiforme classique adopte parfois, à partir de la fin du XIVe, la forme de la targe de tournoi, échancrée pour caler la lance, puis celle, très découpée, du chanfrein qui couvre la tête du cheval. Mais cet écu peut encore être de forme ronde, ovale ou en losange, cette dernière étant souvent le pendant féminin de l’écu bannière réservé aux chevaliers bannerets.

Composantes des armoiries

Émaux

Paris, Bibl. Mazarine,
ms. 3711, f. 3v°-4

Le blason distingue deux groupes d’émaux ou couleurs.
D’un côté les métaux qui sont l’or et l’argent. Le premier est tantôt doré, tantôt représenté par le jaune ; le second est argenté ou blanc.
De l'autre les couleurs qui sont le gueules (rouge), l’azur (bleu), le sable (noir), le sinople (vert), le pourpre (violine).
Pour pouvoir bien distinguer de loin les pièces et les figures des armoiries, il était sans doute nécessaire d’accentuer les contrastes et d'éviter la superposition or sur argent, ou sable sur sinople, qui se lisent moins bien que gueules sur argent ou azur sur or. D’où la fameuse règle des émaux sans doute établie sur la base de principes chromatiques plus anciens : on ne doit jamais mettre « métal sur métal, ni couleur sur couleur ».

Or
Jaune (Or)
Argent
Blanc (Argent)
Gueules
Azur
Sinople
Sable
Pourpre
Vair
Hermine
Papelonné
Diapré

Cette règle des émaux est globalement respectée depuis l'apparition des armoiries et assure la cohérence du système à travers l'espace et le temps.
Aux émaux s’ajoute le groupe des fourrures qui faisaient partie des signes de distinction de l’aristocratie. En héraldique, elles sont fortement stylisées. Ces fourrures sont le vair (écureuil), abondamment utilisé comme doublure de manteau au Moyen Âge, constitué de clochettes alternées d’azur et d’argent (le ventre et le dos du petit gris) ; l’hermine, fourrure plus rare et plus chère, elle aussi stylisée par un champ blanc (ou argent) semé de petits faisceaux de poils noirs.
Mais il existe encore d'autres manières de remplir le champ de motifs particuliers qui ne sont pas des figures mais ont pour objet d’éviter des surfaces trop monochromes : le papelonné (un assemblage d’écailles et autres petits motifs), le plumeté (un assemblage de plumes), le diapré (un arrangement de rinceaux et d’arabesques sur une pièce de l’écu ou sur le champ) et le paillé (reproduction d’un motif tissé dans une étoffe).

Partitions et pièces

Répartir les émaux dans le champ de l'écu se fait souvent de façon géométrique, les émaux étant séparés par un ou plusieurs traits. Un nombre pair de traits donne des pièces, un nombre impair des partitions.

D'argent à 3 fasces de gueules
Fascé de gueules et d'argent

Selon le sens des traits, on obtient avec deux émaux diverses partitions dont voici les plus courantes :

1 trait 2 traits 5 traits 9 traits
parti pal palé vergeté
coupé fasce fascé burelé
tranché bande bandé coticé
taillé bar barré coticé en barre
écartelé croix, ou équipolé échiqueté de 6 tires échiqueté
écartelé en sautoir sautoir losangé de 6 tires losangé
Tableau, d'après Pierre Derveaux, Blasons et Armoiries témoins de notre histoire.

Meubles

Les meubles sont des figures dont la place et les couleurs sont variées. Ils empruntent aux formes géométriques, au domaine de la faune, de la flore, des astres et de tous les objets de la vie quotidienne.

Cette multiplicité de figures a permis la création de millions d’armoiries, d’autant qu’on peut dans un écu associer plusieurs armoiries de nature différente et combiner à l’infini pièces et meubles. Voici les six catégories de meubles :

Les animaux :
- quadrupèdes, avec une prédilection pour le lion
- oiseaux et volatiles, avec une prédilection pour l’aigle et les merlettes
- poissons, coquillages, mollusques, animaux aquatiques, avec une prédilection pour le bar et le dauphin
- insectes et reptiles
- monstres et créatures chimériques

D’azur à deux béliers affrontés d’argent accornés d’or, accompagnés de trois figues ou poires d’or
D’argent au lion de sable armé d’or et lampassé de gueules
D’argent semé d’hermine, au lion de gueules, couronné, armé et lampassé d’or, brochant
D’azur à un gerfaut d’or empiétant un héron volant d’argent, à la bordure chargée de seize croisettes de sable
D’azur à deux bars adossés d’or, oreillés de gueules, posés en pal, brochant sur un semé de croisettes au pied fiché d’or
De gueules à trois coquilles d’or
D’azur au chevron d’or accompagné en chef de deux abeilles et en pointe d’un lion, le tout d’argent
De gueules au griffon d’or, becqué, armé et onglé d’azur

Les végétaux :
- arbres, parfois identifiables par leurs feuilles ou leurs fruits
- feuilles et fleurs, toutes peuvent être représentées soit au naturel, soit de manière héraldique (stylisée). Le trèfle, la rose et la fleur de lis sont alors considérés comme petits meubles.
- fruits
- légumes, assez rares en héraldique.

D'or au chef de gueules, au chêne arraché de sinople brochant armes semi-parlantes de la famille Du Bois Vert ou Du Boisvair qu'on peut lire aussi coupé de gueules et d'or au chêne de sinople brochant et identifié par ses fruits
De gueules au chêne de sinople englanté d'or, sur une terrasse de sinople
D’azur à trois trèfles tigés de sinople, sur le chef le nom du possesseur I Blain

Les astres et les éléments naturels :
- soleil, lune et croissant sont les plus fréquents
- éclairs, nuées, feu, onde, rocher (plutôt rares en héraldique).

D’azur à cinq croissants d’or posés en sautoir, cantonnés de quatre soleils d’or

Les êtres humains et les parties du corps humain :
- principalement têtes, bras, jambes (peu utilisés)

D’or au chef d’azur chargé d’un dextrochère d’hermine, revêtu d’un manipule du même pendant sur l’or (Villiers de l’Ilsle-Adam)

Les objets de la vie quotidienne :
Les domaines représentés sont :
- architecture
- armement
- chasse
- navigation
- outils et instruments
- vie domestique
- vie religieuse
- musique

D’azur à 3 haches d’armes d’argent emmanchées d’or. (armes parlantes d’une famille Hachart)
D’or à trois tonnelets de sable au bouchon d’or et au lien de gueules(armes parlantes d’une famille Boutier : en ancien français un petit tonneau se dit « bot »)
D’azur à la harpe d’or
Dame en prière à la robe armoriée partie des armes de son époux et des siennes.

Les petits meubles :
Ces petites figures très couramment utilisées sont représentées d’une manière stéréotypée. Elles alimentent largement le système des brisures, ou garnissent le champ de l’écu sous forme de semés. Il s’agit des besants et tourteaux, des étoiles et molettes, des losanges et mâcles, des croissants et croisettes, des annelets, des billettes, des flanchis, des fermaux, des écussons, des cœurs, des coquilles, des trèfles, des merlettes, des fleurs de lis, des roses, quintefeuilles et tiercefeuilles.

Voir le glossaire pour ces différents termes.

Pour plus d’informations, le lecteur peut consulter la version en ligne du manuel Les armoiries. Lecture et identification écrit par Emmanuel de Boos sur le site de la société française d’héraldique et de sigillographie.

La règle des émaux

Selon la règle des émaux il est impossible de superposer métal sur métal et couleur sur couleur (les fourrures étant assimilées aux couleurs). Cette règle a cours pour le fond de l'écu et sa figure, ainsi que pour la figure et les éléments dont elle peut être chargée. En revanche, elle ne s'applique pas aux figures surmontant la composition dites « brochant sur le tout ».

La règle des couleurs n'est pas respectée
La règle des couleurs n'est pas respectée
La règle des couleurs est respectée
La règle des couleurs est respectée (car l’écusson est « brochant sur le tout »)

La règle des émaux est globalement respectée depuis l'apparition des armoiries, mais il ne faut jamais oublier que les règles de l’héraldique moderne ne s’appliquent que partiellement à l’héraldique médiévale. Sur une miniature célèbre des Neuf preuses avec leurs armoiries, celles de Penthésilée (tout à fait à droite : D'azur, à la bande de gueules, chargée de trois têtes de femmes ornées et couronnées d'or, accompagnée de six grillets d’or) ne respectent pas la règle des émaux, et ce n’est qu’un exemple parmi d’autres.